Hiroshima : espace-temps

 

Composé d'images d'archives de la ville d'Hiroshima, Nijuman no borei nous montre d'abord la cité avant sa destruction, puis entièrement rasée et, peu à peu, renaissant de ses cendres. Sur toutes les photographies apparaît un élément commun : un dôme à la charpente métallique dénudée. Autour de ce point fixe et circulaire, la superposition des images semble former un immense panoramique à 360° dans l'espace et le temps. Mais, tandis que la ville se reconstruit, le dôme reste à l'état de ruine, aucune peau ne repousse sur ses poutres squelettiques. C'est un trou dans le temps, dans le cours de la vie et le cœur de la ville. Une manière d'inscrire dans la progression des images, la fin du progrès puisque, désormais, nous pouvons tous mourir n'importe quand, balayés dans un éclair blanc.

 

Quel est cet édifice autour duquel vous bâtissez votre film ?

Ce dôme, appelé « A-Bomb dome » ou « Genbaku Dome » par les Japonais, a été construit en 1914. C’était un « Centre des Sciences et Industries » en même temps qu'un centre d'exposition artistique. Il s'agissait en fait d'une « vitrine » des productions de la ville pour des acheteurs ou des exportateurs éventuels.

Tous les bâtiments en béton dans l'épicentre de l'explosion ont partiellement résisté, mais, exception faite du Dôme, ils ont tous été rapidement démonté ou restaurés. Le dôme, appartenant à la ville, alors en grave crise financière, est resté tel quel. Les habitants se l'appropriant comme symbole du bombardement, il devenait impossible à la mairie de le détruire.

 

Sa place est aussi singulière à l'écran que dans le réel. Il est « l'épicentre » d'où jaillissent les photos, pour reprendre la terminologie atomique.

La cible des Américains était le pont juste devant le dôme. Même si la bombe a été finalement larguée à une centaine de mètres, le pont et le dôme restent les points nodaux de cette destruction. Aujourd'hui encore, le dôme est le point central de la Ville, autant en termes d’urbanisme que de symbolique. Comme toute ruine, le dôme présente une faille temporelle, un endroit où le temps n'est plus actif.

Je voulais faire non pas un film sur Hiroshima mais un film sur la mémoire, ou l'oubli plutôt, d'Hiroshima. La confrontation de cette ruine avec une ville qui se reconstruit autour me paraissaient une métaphore juste de ce double mouvement d'effacement et de résistance à cet effacement.

 

Est-ce la découverte de la ville lors d'un voyage qui vous a inspiré le film, ou bien la vision de photos?

Le besoin de faire ce film vient de mes lectures de témoignages d'Hibakusha (les survivants de la bombe). Le dôme est venu après, à la lecture d'un livre sur l'histoire du bombardement. Quand je suis parti à Hiroshima, j'avais une idée claire de ce que je voulais y faire, à ceci prêt que je n'avais qu'une idée très grossière de l'environnement du dôme ! Heureusement pour moi, parking, centre commerciaux et love hotels ne manquent pas derrière le dôme…

 

Où avez vous récolté les images? Apparaissent-elles dans un ordre strictement chronologique? Certaines photos sont-elles de vous?

La majorité des archives proviennent de fonds publics, comme ceux de la mairie d'Hiroshima ou du Musée de la Paix. Nous avons aussi eu la chance que de nombreux particuliers japonais nous prêtent leurs photos. Par contre, il y a parmi les premières photos, des photos des armées américaines et australiennes. J'ai hésité à les utiliser car j'avais le désir de ne faire le film qu'avec des photos japonaises, mais je n'avais pas le choix…

Les photos sont montées chronologiquement, ce qui n'était parfois pas évident. Durant les années 60 et 70 subsistaient des habitats insalubres derrière le dôme alors que les bâtiments modernes étaient construits. J'ai dû alors, non pas changer la chronologie, mais supprimer certaines photos qui rendaient cette chronologie illisible.
Seules quelques photos parmi celle de la fin sont les miennes.

 

Techniquement, comment avez-vous procédé pour que le dôme reste identique, en taille, au fil des superpositions?

L'astuce est que le dôme évolue en permanence, mais très lentement. Déjà, selon les axes photographiques le champ autour du dôme est plus ou moins large. De plus, il était important dans le film d'être parfois centré sur le dôme, mais parfois aussi sur son environnement. Il y a donc en va et vient incessant durant le film entre un dôme qui prend l'ensemble de l'image et un dôme inscrit dans son paysage.

Ceci dit, le dôme est toujours au centre. Pour cela, j'ai utilisé des méthodes d'animation plutôt classiques, en utilisant un « calque » avec un rectangle (grandissant ou diminuant lentement) dans lequel je devais à chaque fois inscrire le dôme. La partie « compliquée » de l'élaboration du film était plutôt de réussir à résoudre des équations : celle de la chronologie des images et celle de l'animation en rond autour du dôme.

 

Avez-vous montré le film à des habitants d’Hiroshima et qu’en ont-ils pensé ?

Oui, j'ai eu la chance de présenter le film à Hiroshima. Ce fût une projection extrêmement forte. Cependant, les japonais sont des gens très pudiques qui expriment peu leurs sentiments. Mais mon ami étant avec moi, de nombreux japonais lui ont dit tout le bien qu'ils pensaient du film ! Une de leurs remarques que je retiens  celle selon laquelle seul un occidental pouvait faire un film tel que celui-ci, pour eux chaque image du dôme est comme une icône impossible à superposer. Mais par ce défilement rapide leur est apparue une histoire du dôme, une histoire vivante. Voir ce dôme, si quotidien pour eux, "respirer" les a ému.

Ce film est diffusé régulièrement au Japon, ce qui me rend heureux car si ce film est lisible pour le public occidental, j'ai essayé avant tout de l'écrire pour les Japonais. Et les retours qu'ils me font me permettent de penser que j'ai au moins réussir cela.

 

Par David Matarasso
Journal du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand 2008